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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/190

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gouverner sans préceptes, & de tout faire en ne faisant rien. Cet art, j’en conviens, n’est pas de votre âge ; il n’est pas propre à faire briller d’abord vos talens, ni à vous faire valoir auprès des peres ; mais c’est le seul propre à réussir. Vous ne parviendrez jamais à faire des sages, si vous ne faites d’abord des polissons : c’étoit l’éducation des Spartiates ; au lieu de les coller sur des livres, on commençoit par leur apprendre à voler leur dîné. Les Spartiates étoient-ils pour cela grossiers étant grands ? Qui ne connoit la force & le sel de leurs reparties ? Toujours faits pour vaincre, ils écrasoient leurs ennemis en toute espece de guerre, & les babillards Athéniens craignoient autant leurs mots que leurs coups.

Dans les éducations les plus soignées, le Maître commande & croit gouverner ; c’est en effet l’enfant qui gouverne. Il se sert de ce que vous exigez de lui pour obtenir de vous ce qu’il lui plait, & il sait toujours vous faire payer une heure d’assiduité par huit jours de complaisance. À chaque instant il faut pactiser avec lui. Ces traités, que vous proposez à votre mode, & qu’il exécute à la sienne, tournent toujours au profit de ses fantaisies ; sur-tout quand on a la mal-adresse de mettre en condition pour son profit ce qu’il est bien sûr d’obtenir, soit qu’il remplisse ou non la condition qu’on lui impose en échange. L’enfant, pour l’ordinaire, lit beaucoup mieux dans l’esprit du Maître, que le Maître dans le cœur de l’enfant, & cela doit être ; car toute la sagacité qu’eut employé l’enfant livré à lui-même à pourvoir à la conservation de sa personne, il l’emploie à