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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/198

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bonne contenance, & prêt à sortir, il dit à son laquais de le suivre. Le laquais, déjà prévenu, répond qu’il n’a pas le tems, & qu’occupé par mes ordres, il doit m’obéir plutôt qu’à lui. Pour le coup, l’enfant n’y est plus. Comment concevoir qu’on le laisse sortir seul, lui qui se croit l’être important à tous les autres, & pense que le Ciel & la terre sont intéressés à sa conservation ? Cependant il commence à sentir sa foiblesse ; il comprend qu’il se va trouver seul au milieu de gens qui ne le connoissent pas ; il voit d’avance les risques qu’il va courir ; l’obstination seule le soutient encore ; il descend l’escalier lentement & fort interdit. Il entre enfin dans la rue, se consolant un peu du mal qui lui peut arriver, par l’espoir qu’on m’en rendra responsable.

C’étoit là que je l’attendois. Tout étoit préparé d’avance ; & comme il s’agissoit d’une espece de scene publique, je m’étois muni du consentement du pere. À peine avoit-il fait quelques pas qu’il entend à droite & à gauche différens propos sur son compte. Voisin, le joli Monsieur ! où va-t-il ainsi tout seul ? Il va se perdre : je veux le prier d’entrer chez nous. Voisine, gardez-vous en bien. Ne voyez-vous pas que c’est un petit libertin qu’on a chassé de la maison de son pere, parce qu’il ne vouloit rien valoir ? Il ne faut pas retirer les libertins ; laissez-le aller où il voudra. Hé bien donc ! que Dieu le conduise ; je serois fâchée qu’il lui arrivât malheur. Un peu plus loin il rencontre des polissons à peu près de son âge, qui l’agacent & se moquent de lui. Plus il avance, plus il trouve