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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/200

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que tout ce qui s’étoit passé n’étoit qu’un jeu, je ne voulus point le mener promener le même jour. Le lendemain je vis avec grand plaisir qu’il passoit avec moi d’un air de triomphe devant les mêmes gens qui s’étoient moqués de lui la veille pour l’avoir rencontré tout seul. On conçoit bien qu’il ne me menaça plus de sortir sans moi.

C’est par ces moyens & d’autres semblables, que, durant le peu de tems que je fus avec lui, je vins à bout de lui faire faire tout ce que je voulois sans lui rien prescrire, sans lui défendre, sans sermons, sans exhortations, sans l’ennuyer de leçons inutiles. Aussi, tant que je parlois, il étoit content, mais mon silence le tenoit en crainte ; il comprenoit que quelque chose n’alloit pas bien, & toujours la leçon lui venoit de la chose même ; mais revenons.

Non seulement ces exercices continuels ainsi laissés à la seule direction de la nature en fortifiant le corps n’abrutissent point l’esprit ; mais au contraire ils forment en nous la seule espece de raison dont le premier âge soit susceptible, & la plus nécessaire à quelque âge que ce soit. Ils nous apprennent à bien connoître l’usage de nos forces, les rapports de nos corps aux corps environnans, l’usage des instruments naturels qui sont à notre portée, & qui conviennent à nos organes. Y a-t-il quelque stupidité pareille à celle d’un enfant élevé toujours dans la chambre & sous les yeux de sa mere, lequel ignorant ce que c’est que poids et que résistance veut arracher un grand arbre, ou soulever un rocher ? La premiere fois que je sortis de Geneve, je voulois suivre un