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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/201

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cheval au galop, je jettois des pierres contre la montagne de Saleve, qui étoit à deux lieues de moi ; jouet de tous les enfans du village, j’étois un véritable idiot pour eux. À dix-huit ans on apprend en Philosophie ce que c’est qu’un lévier : il n’y a point de petit Paysan à douze qui ne sache se servir d’un lévier mieux que le premier Mécanicien de l’Académie. Les leçons que les écoliers prennent entre eux dans la cour du College leur sont cent fois plus utiles que tout ce qu’on leur dira jamais dans la Classe.

Voyez un chat entrer pour la premiere fois dans une chambre ; il visite, il regarde, il flaire, il ne reste pas un moment en repos, il ne se fie à rien qu’après avoir tout examiné, tout connu. Ainsi fait un enfant commençant à marcher, & entrant, pour ainsi dire, dans l’espace du monde. Toute la différence est, qu’à la vue commune à l’enfant & au chat, le premier joint, pour observer, les mains que lui donna la nature, & l’autre l’odorat subtil dont elle l’a doué. Cette disposition bien ou mal cultivée est ce qui rend les enfans adroits ou lourds, pesans ou dispos, étourdis ou prudens.

Les premiers mouvemens naturels de l’homme étant donc de se mesurer avec tout ce qui l’environne, & d’éprouver dans chaque objet qu’il apperçoit toutes les qualités sensibles qui peuvent se rapporter à lui, sa premiere étude est une sorte de Physique expérimentale relative à sa propre conservation, & dont on le détourne par des études spéculatives avant qu’il ait reconnu sa place ici-bas. Tandis que ses organes délicats & flexibles peuvent s’ajuster aux corps sur