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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/219

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vrais aveugles savent toujours se conduire, & que nous n’osons faire un pas au cœur de la nuit. On a de la lumiere, me dira-t-on. Eh quoi ! toujours des machines ! Qui vous répond qu’elles vous suivront par-tout au besoin ? Pour moi, j’aime mieux qu’Émile ait des yeux au bout de ses doigts, que dans la boutique d’un Chandelier.

Êtes-vous enfermé dans un édifice au milieu de la nuit, frappez des mains ; vous appercevrez au résonnement du lieu, si l’espace est grand ou petit, si vous êtes au milieu ou dans un coin. À demi-pied d’un mur, l’air moins ambiant & plus réfléchi vous porte une autre sensation au visage. Restez en place, & tournez-vous successivement de tous les côtés ; s’il y a une porte ouverte, un léger courant d’air vous l’indiquera. Êtes-vous dans un bateau, vous connoîtrez, à la maniere dont l’air vous frappera le visage, non-seulement en quel sens vous allez, mais si le fil de la riviere vous entraîne lentement ou vîte. Ces observations & mille autres semblables, ne peuvent bien se faire que de nuit ; quelque attention que nous voulions leur donner en plein jour, nous serons aidés ou distraits par la vue, elles nous échapperont. Cependant il n’y a encore ici ni mains, ni bâton : que de connoissances oculaires on peut acquérir par le toucher, même sans rien toucher du tout !

Beaucoup de jeux de nuit. Cet avis est plus important qu’il ne semble. La nuit effraye naturellement les hommes, & quelquefois les animaux [1]. La raison, les connoissances,

  1. (20) Cet effroi devient très-manifeste dans les grandes éclipses de soleil.