Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/220

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l’esprit, le courage, délivrent peu de gens de ce tribut l’ai vu des raisonneurs, des esprits forts, des philosophes, des militaires intrépides en plein jour, trembler la nuit comme des femmes au bruit d’une feuille d’arbre. On attribue cet effroi aux contes des nourrices ; on se trompe : il a une cause naturelle. Quelle est cette cause ? la même qui rend les sourds défiants & le peuple superstitieux, l’ignorance des choses qui nous environnent & à ce qui se passe autour de nous [1]. Accoutumé d’apercevoir de loin les objets &

  1. En voici encore une autre cause bien expliquée par un philosophe dont je cite souvent le livre, & dont les grandes vues m’instruisent encore plus souvent. "Lorsque, par des circonstances particulières, nous ne pouvons avoir une idée juste de la distance, & que nous ne pouvons juger des objets que par la grandeur de l’angle ou plutôt de l’image qu’ils forment dans nos yeux, nous nous trompons alors nécessairement sur la grandeur de ces objets. Tout le monde a éprouvé qu’en voyageant la nuit on prend un buisson dont on est près pour un grand arbre dont on est loin, ou bien on prend un grand arbre éloigné pour un buisson qui est voisin ; de même, si on ne connaît pas les objets par leur forme, & qu’on ne puisse avoir par ce moyen aucune idée de distance, on se trompera encore nécessairement. Une mouche qui passera avec rapidité à quelques pouces de distance de nos yeux nous paraîtra dans ce cas être un oiseau qui en seroit à une très grande distance ; un cheval qui seroit sans mouvement dans le milieu d’une campagne, & qui seroit dans une attitude semblable, par exemple, à celle d’un mouton, ne nous paraîtra plus qu’un gros mouton, tant que nous ne reconnaîtrons pas que c’est un cheval ; mais, dès que nous l’aurons reconnu, il nous paraîtra dans l’instant gros comme un cheval, & nous rectifierons sur-le-champ notre premier jugement."

    " Toutes les fois qu’on se trouvera dans la nuit dans des lieux inconnus où l’on ne pourra juger de la distance, & où l’on ne pourra reconnaître la forme des choses à cause de l’obscurité, on