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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/223

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parle tout autrement qu’elle. À quoi bon penser qu’on n’a rien à craindre, puisque alors on n’a rien à faire ?

La cause du mal trouvée indique le remede. En toute chose l’habitude tue l’imagination, il n’y a que les objets nouveaux qui la réveillent. Dans ceux que l’on voit tous les jours, ce n’est plus l’imagination qui agit, c’est la mémoire, & voilà la raison de l’axiome ab assuetis non fit passio ; car ce n’est qu’au feu de l’imagination que les passions s’allument. Ne raisonnez donc pas avec celui que vous voulez guérir de l’horreur des ténebres ; menez-l’y souvent, & soyez sûr que tous les argumens de la Philosophie ne vaudront pas cet usage. La tête ne tourne point aux couvreurs sur les toits, & l’on ne voit plus avoir peur dans l’obscurité quiconque est accoutumé d’y être.

Voilà donc pour nos jeux de nuit un autre avantage ajouté au premier : mais pour que ces jeux réussissent, je n’y puis trop recommander la gaieté. Rien n’est si triste que les ténebres : n’allez pas enfermer votre enfant dans un cachot. Qu’il rie en entrant dans l’obscurité ; que le rire le reprenne avant qu’il en sorte ; que, tandis qu’il y est, l’idée des amusemens qu’il quitte, & de ceux qu’il va retrouver, le défende des imaginations fantastiques qui pourroient l’y venir chercher.

Il est un terme de la vie au-delà duquel on rétrograde en avançant. Je sens que j’ai passé ce terme. Je recommence, pour ainsi dire, une autre carriere. Le vuide de l’âge mur, qui s’est fait sentir à moi, me retrace le doux temps du premier âge. En vieillissant, je redeviens enfant, & je me rappelle