Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/222

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supposer tout ce qui doit le plus m’engager à me tenir sur mes gardes, & par conséquent tout ce qui est le plus propre à m’effrayer.

N’entends-je absolument rien, je ne suis pas pour cela tranquille ; car enfin sans bruit on peut encore me surprendre. Il faut que je suppose les choses telles qu’elles étaient auparavant, telles qu’elles doivent encore être, que je voie ce que je ne vois pas. Ainsi, forcée mettre en jeu mon imagination, bientôt je n’en suis plus je maître, & ce que j’ai fait pour me rassurer ne sert qu’à m’alarmer davantage. Si j’entends du bruit, j’entends des voleurs ; si je n’entends rien, je vois des fantômes ; la vigilance que m’inspire le soin de me conserver ne me donne que sujets de crainte. Tout ce qui doit me rassurer n’est que dans ma raison, l’instinct plus fort me

    dans l’œil, & qu’on aura réellement vu une figure gigantesque ou épouvantable par la grandeur & par la forme. Le préjugé des spectres est donc fondé dans la nature, & ces apparences ne dépendent pas, comme le croient les philosophes, uniquement de nation l’imagination." (Hist. nat., t. VI, p. 22, in-2.)

    J’ai tâché de montrer dans le texte comment il en dépend toujours en partie, et, quant à la cause expliquée dans ce passage, on voit que l’habitude de marcher la nuit doit nous apprendre à distinguer les apparences que la ressemblance des formes & la diversité des distances font prendre aux objets à nos yeux dans l’obscurité ; car, lorsque l’air est encore assez éclairé pour nous laisser apercevoir les contours des objets, comme il y a plus d’ait interposé dans un plus grand éloignement, nous devons toujours voir ces contours moins marqués quand l’objet est plus loin de nous ; ce qui suffit à force d’habitude pour nous garantir de l’erreur qu’explique ici M. de Buffon. Quelque explication qu’on préfère, ma méthode est donc toujours efficace, & c’est ce que l’expérience confirme parfaitement.