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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/225

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les caresses me rassurerent. Honteux de ma frayeur, je revins sur mes pas, tâchant pourtant d’emmener avec moi Sultan, qui ne voulut pas me suivre. Je franchis brusquement la porte, j’entre dans l’Église. À peine y fus-je rentré, que la frayeur me reprit, mais si fortement que je perdis la tête ; & quoique la chaire fût à droite, et que je le susse très-bien, ayant tourné sans m’en appercevoir, je la cherchai long-tems à gauche, je m’embarrassai dans les bancs, je ne savois plus où j’étois ; & ne pouvant trouver ni la chaire ni la porte, je tombai dans un bouleversement inexprimable. Enfin, j’apperçois la porte, je viens à bout de sortir du Temple, & je m’en éloigne comme la premiere fois, bien résolu de n’y jamais rentrer seul qu’en plein jour.

Je reviens jusqu’à la maison. Prêt à entrer, je distingue la voix de M. Lambercier à de grands éclats de rire. Je les prends pour moi d’avance, & confus de m’y voir exposé, j’hésite à ouvrir la porte. Dans cet intervalle, j’entends Mademoiselle Lambercier s’inquiéter de moi, dire à la servante de prendre la lanterne, & M. Lambercier se disposer à me venir chercher, escorté de mon intrépide cousin, auquel ensuite on n’auroit pas manqué de faire tout l’honneur de l’expédition. À l’instant toutes mes frayeurs cessent, & ne me laissent que celle d’être surpris dans ma fuite : je cours, je vole au Temple ; sans m'égarer, sans tâtonner, j’arrive à la chaire ; j’y monte, je prends la Bible, je m’élance en bas ; dans trois sauts je suis hors du Temple, dont j’oubliai même de fermer la porte ; j'entre dans la chambre, hors d’haleine, je jette la Bible sur la table, effaré,