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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/228

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point pour lui le sabbat, mais la chambre de son Gouverneur. La nuit ne lui rappellant que des idées gaies, ne lui sera jamais affreuse ; au lieu de la craindre, il l’aimera. S’agit-il d’une expédition militaire, il sera prêt à toute heure, aussi-bien seul qu’avec sa troupe. Il entrera dans le camp de Saül, il le parcourra sans s’égarer, il ira jusqu’à la tente du Roi sans éveiller personne, il s’en retournera sans être apperçu. Faut-il enlever les chevaux de Rhesus, adressez-vous à lui sans crainte. Parmi les gens autrement élevés, vous trouverez difficilement un Ulysse.

J’ai vu des gens vouloir, par des surprises, accoutumer les enfans à ne s’effrayer de rien la nuit. Cette méthode est très-mauvaise ; elle produit un effet tout contraire à celui qu’on cherche, & ne sert qu’à les rendre toujours plus craintifs. Ni la raison, ni l’habitude ne peuvent rassurer sur l’idée d’un danger présent, dont on ne peut connoître le degré ni l’espece, ni sur la crainte des surprises qu’on a souvent éprouvées. Cependant, comment s’assurer de tenir toujours votre Éleve exempt de pareils accidens ? Voici le meilleur avis, ce me semble, dont on puisse le prévenir là-dessus. Vous êtes alors, dirois-je à mon Émile, dans le cas d’une juste défense ; car l’aggresseur ne vous laisse pas juger s’il veut vous faire mal ou peur, & comme il a pris ses avantages, la fuite même n’est pas un réfuge pour vous. Saisissez donc hardiment celui qui vous surprend de nuit, homme ou bête, il n’importe ; serrez-le, empoignez-le de toute votre force ; s’il se débat, frappez, ne marchandez point les coups, & quoi qu’il puisse dire ou faire, ne lâchez jamais prise, que