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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/25

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rique, l’entier absolu ; qui n’a de rapport qu’à lui-même ou à son semblable. L’homme civil n’est qu’une unité fractionnaire qui tient au dénominateur, & dont la valeur est dans son rapport avec l’entier, qui est le corps social. Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, & transporter le moi dans l’unité commune ; en sorte que chaque particulier ne se croye plus un, mais partie de l’unité, & ne soit plus sensible que dans le tout. Un Citoyen de Rome n’étoit ni Caïus, ni Lucius ; c’étoit un Romain : même il aimoit la patrie exclusivement à lui. Regulus se prétendoit Carthaginois, comme étant devenu le bien de ses maîtres. En sa qualité d’étranger, il refusoit de siéger au Sénat de Rome ; il falut qu’un Carthaginois le lui ordonnât. Il s’indignoit qu’on voulût lui sauver la vie. Il vainquit, & s’en retourna triomphant mourir dans les supplices. Cela n’a pas grand rapport, ce me semble, aux hommes que nous connaissons.

Le Lacédémonien Pédarete se présente pour être admis au conseil des trois cens ; il est rejeté. Il s’en retourne tout joyeux de ce qu’il s’est trouvé dans Sparte trois cens hommes valans mieux que lui. Je suppose cette démonstration sincere, & il y a lieu de croire qu’elle l’étoit : voilà le citoyen.

Une femme de Sparte avoit cinq fils à l’armée, & attendoit des nouvelles de la bataille. Un Ilote arrive ; elle lui en demande en tremblant. Vos cinq fils ont été tués.