Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison nous donne. Ces dispositions s’étendent & s’affermissent à mesure que nous devenons plus sensibles & plus éclairés : mais, contraintes par nos habitudes, elles s’alterent plus ou moins par nos opinions. Avant cette altération, elles sont ce que j’appelle en nous la nature.

C’est donc à ces dispositions primitives, qu’il faudroit tout rapporter ; & cela se pourroit, si nos trois éducations n’étoient que différentes : mais que faire quand elles sont opposées ; quand au lieu d’élever un homme pour lui-même on veut l’élever pour les autres ? Alors le concert est impossible. Forcé de combattre la nature ou les institutions sociales, il faut opter entre faire un homme ou un citoyen ; car on ne peut faire à la fois l’un & l’autre.

Toute société partielle, quand elle est étroite & bien unie, s’aliene de la grande. Tout patriote est dur aux étrangers : ils ne sont qu’hommes, ils ne sont rien à ses yeux [1]. Cet inconvénient est inévitable, mais il est foible. L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit. Au-dehors le Spartiate étoit ambitieux, avare, inique : mais le désintéressement, l’équité, la concorde régnoient dans ses murs. Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel Philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins.

L’homme naturel est tout pour lui ; il est l’unité numé-

  1. (3) Aussi les guerres des Républiques sont-elles plus cruelles que celles des Monarchies. Mais, si la guerre des Rois est modérée, c’est leur paix qui est terrible : il vaut mieux être leur ennemi que leur sujet.