Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/259

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de la vanité, en ce que la première est un appétit de la nature, tenant immédiatement au sens, & que la seconde est un ouvrage de l’opinion, sujet au caprice des hommes & à toutes sortes d’abus. La gourmandise est la passion de l’enfance ; cette passion ne tient devant aucune autre ; à la moindre concurrence elle disparaît, Eh ! Croyez-moi ! l’enfant ne cessera que trop tôt de songer a ce qu’mange ; & quand son cœur sera trop occupé, son palais ne l’occupera guère. Quand il sera grand, mille sentiments impétueux le change à la gourmandise, et ne feront qu’irriter la vanité ; car cette dernière passion seule fait son profit des autres, & à la fin les engloutit toutes. J’ai quelquefois examiné ces gens qui donnoient de l’importance aux bons morceaux, qui songeoient, en s’éveillant, à ce qu’ils mangeraient dans la journée, & décrivaient un repas avec plus d’exactitude que n’en met Polybe à décrire un combat ; j’ai trouvé que tous ces prétendus hommes n’étaient que des enfans de quarante ans, sans vigueur & sans consistance, fruges consumere nati. La gourmandise est le vice des cœurs qui n’ont point d’étoffé. L’âme d’un gourmand est toute dans son palais ; il n’est fait que pour manger ; dans sa stupide incapacité, il n’est qu’à table à sa place, il ne sait juger que des plats ; laissons-lui sans regret cet emploi ; mieux lui vaut celui-là qu’un autre, autant pour nous que pour lui.

Craindre que la gourmandise ne s’enracine dans un enfant capable de quelque chose est une précaution de petit esprit. Dans l’enfance on ne songe qu’à ce qu’on mangé ; dans l’adolescence on n’y songe plus ; tout nous est bon, & l’on