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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/258

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emploi, son domicile ; mais qui est-ce qui peut être sûr de ce que la fortune réserve à l’enfant ? En toute chose ne lui donnons point une forme si déterminée, qu’il lui en coûte trop d’en changer au besoin. Ne faisons pas qu’il meure de faim dans d’autres pays s’il ne traîne par-tout à sa suite un cuisinier François, ni qu’il dise un jour qu’on ne sait manger qu’en France. Voilà, par parenthese, un plaisant éloge ! Pour moi, je dirois au contraire, qu’il n’y a que les François qui ne savent pas manger, puisqu’il faut un art si particulier pour leur rendre les mets mangeables.

De nos sensations diverses, le goût donne celles qui généralement nous affectent le plus. Aussi sommes-nous plus intéressés à bien juger des substances qui doivent faire partie de la nôtre, que de celles qui ne font que l’environner. Mille choses sont indifférentes au toucher, à l’ouie, à la vue ; mais il n’y a presque rien d’indifférent au goût. De plus, l’activité de ce sens est toute physique & matérielle, il est le seul qui ne dit rien à l’imagination, du moins celui dans les sensations duquel elle entre le moins, au lieu que l’imitation & l’imagination mêlent souvent du moral à l’impression de tous les autres. Aussi généralement les cœurs tendres & voluptueux, les caracteres passionnés & vraiment sensibles, faciles à émouvoir par les autres sens, sont-ils assez tiedes sur celui-ci. De cela même qui semble mettre le goût au-dessous d’eux, & rendre plus méprisable le penchant qui nous y livre, je conclurois au contraire, que le moyen le plus convenable pour gouverner les enfans est de les mener par leur bouche. Le mobile de la gourmandise est sur-tout préférable à celui