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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/262

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leurs mœurs ne les portent point à l’être, cette cruauté vient de leurs alimens. Ils vont à la guerre comme à la chasse, & traitent les hommes comme les ours. En Angleterre même les bouchers ne sont pas reçus en témoignage [1], non plus que les Chirurgiens. Les grands scélérats s’endurcissent au meurtre en buvant du sang. Homere fait des Cyclopes, mangeurs de chair, des hommes affreux, & des Lotophages un peuple si aimable, qu’aussi-tôt qu’on avoit essayé de leur commerce, on oublioit jusqu’à son pays pour vivre avec eux.

” Tu me demandes, “ disoit Plutarque, ” pourquoi Pythagore s’abstenoit de manger de la chair des bêtes ; mais moi je te demande, au contraire, quel courage d’homme eut le premier qui approcha de sa bouche une chair meurtrie, qui brisa de sa dent les os d’une bête expirante, qui fit servir devant lui des corps morts, des cadavres et engloutit dans son estomac des membres, qui le moment d’auparavant, bêloient, mugissoient, marchoient & voyoient. Comment sa main put-elle enfoncer un fer dans le cœur d’un être sensible ? Comment ses yeux purent-ils supporter un meurtre ? Comment put-il voit saigner, écorcher, démembrer un pauvre animal sans défense ? Comment put-il supporter l’aspect des chairs pantelantes ? Comment leur odeur ne lui fit-elle pas soulever le cœur ?

  1. (*) Un des traducteurs anglois de ce livre a relevé ici ma méprise & tous deux l’ont corrigée. Les bouchers & les chirurgiens sont reçus en témoignage, mais les premiers ne sont point admis comme Jurés ou Pairs au jugement des crimes, & les chirurgiens le sont.