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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/279

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autre. Parmi de jeunes paysans, il les égale en force & les passe en adresse. Dans tout ce qui est à portée de l’enfance, il juge, il raisonne, il prévoit mieux qu’eux tous. Est-il question d’agir, de courir, de sauter, d’ébranler des corps, d’enlever des masses, d’estimer des distances, d’inventer des jeux, d’emporter des prix ? on diroit que la nature est à ses ordres, tant il sait aisément plier toute chose à ses volontés. Il est fait pour guider, pour gouverner ses égaux : le talent, l’expérience lui tiennent lieu de droit & d’autorité. Donne-lui l’habit & le nom qu’il vous plaira, peu importe ; il primera par-tout, il deviendra par-tout le chef des autres ; ils sentiront toujours sa supériorité sur eux. Sans vouloir commander il sera le maître, sans croire obéir ils obéiront.

Il est parvenu à la maturité de l’enfance, il a vécu de la vie d’un enfant, il n’a point acheté sa perfection aux dépens de son bonheur : au contraire, ils ont concouru l’un à l’autre. En acquérant toute la raison de son âge, il a été heureux & libre autant que sa constitution lui permet de l’être. Si la fatale faux vient moissonner en lui la fleur de nos espérances, nous n’aurons point à pleurer à la fois sa vie & sa mort, nous n’aigrirons point nos douleurs du souvenir de celles que nous lui aurons causées ; nous nous dirons ; au moins il a joui de son enfance ; nous ne lui avons rien fait perdre de ce que la nature lui avoit donné.

Le grand inconvénient de cette premiere éducation, est qu’elle n’est sensible qu’aux hommes clairvoyans, & que dans un enfant élevé avec tant de soin, des yeux vulgaires