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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/302

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morceau de pain, mais loin de réussir mieux qu’auparavant, il voit le canard se moquer de lui & faire des pirouettes tout autour du bassin ; il s’éloigne enfin tout confus & n’ose plus s’exposer aux huées.

Alors le Joueur de gobelets prend le morceau de pain que l’enfant avoit apporté & s’en sert avec autant de succès que du sien ; il en tire le fer devant tout le monde ; autre risée à nos dépens ; puis de ce pain, ainsi vuidé, il attire le canard comme auparavant. Il fait la même chose avec un autre morceau coupé devant tout le monde par une main tierce ; il en fait autant avec son gant, avec le bout de son doigt. Enfin il s’éloigne au milieu de la chambre, & d’un ton d’emphase propre a ces gens là, déclarant que son canard n’obéira pas moins à sa voix qu’à son geste, il lui parle & le canard obéit ; il lui dit d’aller à droite & il va à droite, de revenir & il revient, de tourner & il tourne ; le mouvement est aussi prompt que l’ordre. Les applaudissemens redoublés sont autant d’affronts pour nous ; nous nous évadons sans être apperçus, & nous nous renfermons dans notre chambre sans aller raconter nos succès à tout le monde, comme nous l’avions projetté.

Le lendemain matin l’on frappe à notre porte, j’ouvre ; c’est l’homme aux gobelets. Il se plaint modestement de notre conduite ; que nous avoit-il fait pour nous engager à vouloir décréditer ses jeux & lui ôter son gagne-pain ? Qu’y a-t-il donc de si merveilleux dans l’art d’attirer un canard de cire, pour acheter cet honneur aux dépens de la subsistance d’un honnête homme ? Ma foi, Messieurs, si