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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/304

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Puisque vous vivez ensemble, comme le plus âgé vous lui devez vos soins, vos conseils : votre expérience est l’autorité qui doit le conduire. En se reprochant, étant grand, les torts de sa jeunesse, il vous reprochera sans doute ceux dont vous ne l’aurez pas averti [1].

Il part & nous laisse tous deux très-confus. Je me blâme de ma molle facilité, je promets à l’enfant de la sacrifier une autre fois à son intérêt, & de l’avertir de ses fautes avant qu’il en fasse ; car le tems approche où nos rapports vont changer, & où la sévérité du maître doit succéder à la complaisance du camarade : ce changement doit s’amener par degrés ; il faut tout prévoir, & tout prévoir de fort loin.

Le lendemain nous retournons à la foire pour revoir le tour dont nous avons appris le secret. Nous abordons avec un profond respect notre Bateleur-Socrate ; à peine osons-nous lever les yeux sur lui : il nous comble d’honnêtetés, & nous place avec une distinction qui nous humilie encore. Il fait ses tours comme à l’ordinaire ; mais il s’amuse & se complait long-tems à celui du canard, en nous regardant souvent d’un air assez fier. Nous savons tout & nous ne soufflons pas. Si mon Éleve osoit seulement ouvrir la bouche ce seroit un enfant à écraser.

  1. (*) Ai-je dû supposer quelque lecteur assez stupide, pour ne pas sentir dans cette réprimande un discours dicté mot-à-mot par le Gouverneur pour aller à ses vues ? A-t-on dû me supposer assez stupide moi-même pour donner naturellement ce langage à un bateleur. Je croyois avoir fait preuve, au moins, du talent assez médiocre de faire parler les gens dans l’esprit de leur état. Voyez encore la fin de l’alinéa suivant. N’étoit-ce pas tout dire pour tout autre que M. de Formey