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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/347

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y sont malgré lui ; & quand un homme est riche, ou il ne jouit pas de sa richesse, ou le public en jouit aussi. Dans l premier cas, il vole aux autres ce dont il se prive ; & dans le second, il ne leur donne rien. Ainsi la dette sociale lui reste tout entiere, tant qu’il ne paye que de son bien. Mais mon pere, en le gagnant, a servi la société… Soit ; il a payé sa dette, mais non pas la vôtre. Vous devez plus aux autres que si vous fussiez né sans bien, puisque vous êtes né favorisé. Il n’est point juste que ce qu’un homme a fait pour la société, en décharge un autre de ce qu’il lui doit : car chacun se devant tout entier ne peut payer que pour lui, & nul pere ne peut transmettre à son fils le droit d’être inutile à ses semblables : or c’est pourtant ce qu’il fait, selon vous, en lui transmettant ses richesses, qui sont la preuve & le prix du travail. Celui qui mange dans l’oisiveté ce qu’il n’a pas gagné lui-même, le vole ; & un rentier que l’État paye pour ne rien faire ne differe gueres, à mes yeux, d’un brigand qui vit aux dépens des passans. Hors de la société, l’homme isolé ne devant rien à personne, a droit de vivre comme il lui plait : mais dans la société, où il vit nécessairement aux dépens des autres, il leur doit en travail le prix de son entretien ; cela est sans exception. Travailler est donc un devoir indispensable à l’homme social. Riche ou pauvre, puissant ou foible, tout citoyen oisif est un fripon.

Or de toutes les occupations qui peuvent fournir la subsistance à l’homme, celle qui le rapproche le plus de l’état de Nature est le travail des mains : de toutes les conditions, la plus indépendante de la fortune & des hommes est celle de l’arti-