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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/348

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san. L’artisan ne dépend que de son travail ; il est aussi libre que le laboureur est esclave : car celui-ci tient à son champ dont la récolte est à la discrétion d’autrui. L’ennemi, le prince, un voisin puissant, un procès lui peut enlever ce champ ; par ce champ on peut le vexer en mille manieres : mais par-tout où l’on veut vexer l’artisan, son bagage est bientôt fait ; il emporte ses bras & s’en va. Toutefois l’agriculture est le premier métier de l’homme ; c’est le plus honnête, le plus utile, & par conséquent le plus noble qu’il puisse exercer. Je ne dis pas à Émile, apprends l’agriculture ; il la sait. Tous les travaux rustiques lui sont familiers ; c’est par eux qu’il a commencé ; c’est à eux qu’il revient sans cesse. Je lui dis donc, cultive l’héritage de tes peres ; mais si tu perds cet héritage, ou si tu n’en as point, que faire ? Apprends un métier.

Un métier à mon fils ! mon fils artisan ! Monsieur, y pensez-vous ? J’y pense mieux que vous, Madame, qui voulez le réduire à ne pouvoir jamais être qu’un Lord, un Marquis, un Prince, & peut-être un jour moins que rien ; moi, je lui veux donner un rang qu’il ne puisse perdre, un rang qui l’honore dans tous les tems ; je veux l’élever à l’état d’homme, & quoique vous puissiez dire, il aura moins d’égaux à ce titre qu’à tous ceux qu’il tiendra de vous.

La lettre tue & l’esprit vivifie. Il s’agit moins d’apprendre un métier pour savoir un métier, que pour vaincre les préjugés qui le méprisent. Vous ne serez jamais réduit à travailler pour vivre. Eh ! tant-pis, tant-pis pour vous ! Mais n’importe, ne travaillez point par nécessité, travaillez par gloire. Abaissez-vous à l’état