Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/351

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dépendez des riches ; vous n’avez fait qu’empirer votre esclavage & le surcharger de votre misère. Vous voilà pauvre sans être libre ; c’est le pire état où l’homme puisse tomber.

Mais, au lieu de recourir pour vivre à ces hautes connaissances qui sont faites pour nourrir l’âme & non le corps, si vous recourez, au besoin, à vos mains & à l’usage que vous en savez faire, toutes les difficultés disparaissent, tous les manèges deviennent inutiles ; la ressource est toujours prête au moment d’en user ; la probité, l’honneur, ne sont plus un obstacle à la vie ; vous n’avez plus besoin d’être lâche & menteur devant les grands, souple & rampant devant les fripons, vil complaisant de tout le monde, emprunteur ou voleur, ce qui est à peu près la même chose quand on n’a rien ; l’opinion des autres ne vous touche point ; vous n’avez à faire votre cour à personne, point de sot à flatter, point de suisse à fléchir, ni de courtisane a payer, & qui pis est, à encenser. Que des coquins mènent les grandes affaires, peu vous importe : cela ne vous empêchera pas, vous, dans votre vie obscure, d’être honnête homme & d’avoir du pain. Vous entrez dans la première boutique du métier que vous avez appris : Maître, j’ai besoin d’ouvrage. Compagnon, mettez-vous là, travaillez. Avant que l’heure du votre dîner ; si vous êtes diligent & sobre, avant que huit jours se passent, vous aurez de quoi vivre huit autres jours :vous aurez vécu libre, sain, vrai, laborieux, juste. Ce n’est pas perdre son tems que d’en gagner ainsi.

Je veux absolument qu’Emile apprenne un métier. Un métier