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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/352

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honnête, au moins, direz-vous. Que signifie ce mot ? Tout métier utile public n’est-il pas honnête ? Je ne veux point qu’il soit brodeur, ni doreur, ni vernisseur comme le gentilhomme de Locke ; je ne veux qu’il soit ni musicien, ni comédien, ni faiseur de livres [1]. À ces professions près, & les autres qui leur ressemblent, qu’il prenne celle qu’il voudra ; je ne prétends le gêner en rien. J’aime mieux qu’il soit cordonnier que poëte ; j’aime mieux qu’il pave les grands chemins que de faire des fleurs de porcelaine. Mais, direz-vous, les archers, les espions, les bourreaux sont des gens utiles. Il ne tient qu’au Gouvernement qu’ils ne le soient point : mais passons, j’avois tort ; il ne suffit pas de choisir un métier utile, il faut encore qu’il n’exige pas des gens qui l’exercent, des qualités d’ame odieuses, & incompatibles avec l’humanité. Ainsi revenant au premier mot, prenons un métier honnête : mais souvenons-nous toujours qu’il n’y a point d’honnêteté sans l’utilité.

Un célèbre Auteur de ce siecle, dont les livres sont pleins de grands projets & de petites vues, avoit fait vœu, comme tous les prêtres de sa communion, de n’avoir point de femme en propre ; mais se trouvant plus scrupuleux que les autres sur l’adultère, on dit qu’il prit le parti d’avoir de jolies servantes, avec lesquelles il réparoit de son mieux l’outrage qu’il avoit fait à son espece par ce téméraire engagement.

  1. (*) Vous l’êtes bien, vous ; me dira-t-on. Je le suis pour mon malheur, je l’avoue ; & mes torts, que je pense avoir assez expiés, ne sont pas pour autrui des raisons d’en avoir de semblables. Je n’écris pas pour excuser mes fautes, mais pour empêcher mes lecteurs de les imiter.