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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/397

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cela ? L’imagination nous met à la place du misérable, plutôt qu’à celle de l’homme heureux ; on sent que l’un de ces états nous touche de plus près que l’autre. La pitié est douce, parce qu’en se mettant à la place de celui qui souffre, on sent pourtant le plaisir de ne pas souffrir comme lui. L’envie est amere, en ce que l’aspect d’un homme heureux, loin de mettre l’envieux à sa place, lui donne le regret de n’y pas être. Il semble que l’un nous exempte des maux qu’il souffre, & que l’autre nous ôte les biens dont il jouit.

Voulez-vous donc exciter & nourrir dans le cœur d’un jeune homme les premiers mouvemens de la sensibilité naissante, & tourner son caractere vers la bienfaisance & vers la bonté ? N’allez point faire germer en lui l’orgueil, la vanité, l’envie par la trompeuse image du bonheur des hommes ; n’exposez point d’abord à ses yeux la pompe des Cours, le faste des palais, l’attrait des spectacles : ne le promenez point dans les cercles, dans les brillantes assemblées. Ne lui montrez l’extérieur de la grande société qu’après l’avoir mis en état de l’apprécier en elle-même. Lui montrer le monde avant qu’il connoisse les hommes, ce n’est pas le former, c’est le corrompre : ce n’est pas l’instruire, c’est le tromper.

Les hommes ne sont naturellement ni Rois, ni Grands, ni Courtisans, ni riches. Tous sont nés nuds & pauvres ; tous sujets aux miseres de la vie, aux chagrins, aux maux, aux besoins, aux douleurs de toute espece ; enfin tous sont condamnés à la mort. Voilà ce qui est vraiment de l’homme ;