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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/400

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Pour exciter & nourrir cette sensibilité naissante, pour la guider ou la suivre dans sa pente naturelle, qu’avons-nous donc à faire, si ce n’est d’offrir au jeune homme des objets sur lesquels puisse agir la force expansive de son cœur, qui le dilatent, qui l’étendent sur les autres êtres, qui le fassent par-tout retrouver hors de lui ; d’écarter avec soin ceux qui le resserrent, le concentrent, & tendent le ressort du moi humain ? c’est-à-dire, en d’autres termes, d’exciter en lui la bonté, l’humanité, la commisération, la bienfaisance, toutes les passions attirantes & douces qui plaisent naturellement aux hommes, & d’empêcher de naître l’envie, la convoitise, la haine, toutes les passions repoussantes & cruelles, qui rendent, pour ainsi dire, la sensibilité non-seulement nulle, mais négative, & font le tourment de celui qui les éprouve.

Je crois pouvoir résumer toutes les réflexions précédentes en deux ou trois maximes précises, claires & faciles à saisir.

Premiere Maxime.
Il n’est pas dans le cœur humain de se mettre à la place des gens qui sont plus heureux que nous, mais seulement de ceux qui sont plus à plaindre.

Si l’on trouve des exceptions à cette maxime, elles sont plus apparentes que réelles. Ainsi l’on ne se met pas à la place du riche & du Grand auquel on s’attache ; même en s’attachant sincerement, on ne fait que s’approprier une partie de son bien-être. Quelquefois on l’aime dans ses mal-