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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/418

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où, victime des plus infâmes douleurs, tu forceras ton pere à remercier Dieu de ta mort.

Ce peu de mots, joints à l’énergique tableau qui frappoit le jeune homme, lui firent une impression qui ne s’effaça jamais. Condamné, par son état, à passer sa jeunesse dans des garnisons, il aima mieux essuyer toutes les railleries de ses camarades, que d’imiter leur libertinage. J’ai été homme, me dit-il, j’ai eu des foiblesses ; mais parvenu jusqu’à mon âge, je n’ai jamais pu voir une fille publique sans horreur. Maître ! peu de discours ; mais apprenez à choisir les lieux, les tems, les personnes ; puis donnez toutes vos leçons en exemples, & soyez sûr de leur effet.

L’emploi de l’enfance est peu de chose. Le mal qui s’y glisse n’est point sans remede, & le bien qui s’y fait peut venir plus tard ; mais il n’en est pas ainsi du premier âge où l’homme commence véritablement à vivre. Cet âge ne dure jamais assez pour l’usage qu’on en doit faire, & son importance exige une attention sans relâche : voilà pourquoi j’insiste sur l’art de le prolonger. Un des meilleurs préceptes de la bonne culture est, de tout retarder tant qu’il est possible. Rendez les progrès lents & sûrs ; empêchez que l’adolescent ne devienne homme au moment où rien ne lui reste à faire pour le devenir. Tandis que le corps croît, les esprits destinés à donner du baume au sang & de la force aux fibres, se forment & s’élaborent. Si vous leur faites prendre un cours différent, & que ce qui est destiné à perfectionner un individu serve à la formation d’un autre, tous deux restent dans un état de foiblesse, & l’ouvrage de la Nature demeure