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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/42

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faire que de les rejetter sur le tems de sa durée où ils sont le moins désavantageux ?

Un enfant devient plus précieux en avançant en âge. Au prix de sa personne se joint celui des soins qu’il a coûtés ; à la perte de sa vie se joint en lui le sentiment de la mort. C’est donc sur-tout à l’avenir qu’il faut songer en veillant à sa conservation ; c’est contre les maux de la jeunesse qu’il faut l’armer, avant qu’il y soit parvenu : car si le prix de la vie augmente jusqu’à l’âge de la rendre utile, quelle folie n’est-ce point d’épargner quelques maux à l’enfance en les multipliant sur l’âge de raison ? Sont-ce là les leçons du maître ?

Le sort de l’homme est de souffrir dans tous les tems. Le soin même de sa conservation est attaché à la peine. Heureux de ne connoître dans son enfance que les maux physiques ! maux bien moins cruels, bien moins douloureux que les autres, & qui bien plus rarement qu’eux nous font renoncer à la vie. On ne se tue point pour les douleurs de la goutte ; il n’y a gueres que celles de l’ame qui produisent le désespoir. Nous plaignons le sort de l’enfance, & c’est le nôtre qu’il faudroit plaindre. Nos plus grands maux nous viennent de nous.

En naissant, un enfant crie ; sa premiere enfance se passe à pleurer. Tantôt on l’agite, on le flatte pour l’apaiser ; tantôt on le menace, on le bat pour le faire taire. Ou nous faisons ce qu’il lui plait, ou nous en exigeons ce qu’il nous plait : ou nous nous soumettons à ses fantaisies, ou nous le soumettons aux nôtres : point de