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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/43

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milieu, il faut qu’il donne des ordres ou qu’il en reçoive. Ainsi ses premieres idées sont celles d’empire & de servitude. Avant de savoir parler, il commande ; avant de pouvoir agir, il obéit ; & quelquefois on le châtie avant qu’il puisse connoître ses fautes ou plutôt en commettre. C’est ainsi qu’on verse de bonne heure dans son jeune cœur les passions qu’on impute ensuite à la nature, & qu’après avoir pris peine à le rendre méchant, on se plaint de le trouver tel.

Un enfant passe six ou sept ans de cette maniere entre les mains des femmes, victime de leur caprice & du sien : & après lui avoir fait apprendre ceci & cela, c’est-à-dire, après avoir chargé sa mémoire ou de mots qu’il ne peut entendre, ou de choses qui ne lui sont bonnes à rien ; après avoir étouffé le naturel par les passions qu’on a fait naître, on remet cet être factice entre les mains d’un précepteur, lequel acheve de développer les germes artificiels qu’il trouve déjà tout formés, & lui apprend tout, hors à se connoître, hors à tirer parti de lui-même, hors à savoir vivre & se rendre heureux. Enfin quand cet enfant esclave & tyran, plein de science & dépourvu de sens, également débile de corps & d’ame, est jetté dans le monde ; en y montrant son ineptie, son orgueil & tous ses vices, il fait déplorer la misere & la perversité humaines. On se trompe ; c’est là l’homme de nos fantaisies : celui de la nature est fait autrement.

Voulez-vous donc qu’il garde sa forme originelle ? Conservez-la dès l’instant qu’il vient au monde. Sitôt qu’il