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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/426

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hommes, & quels genres d’obstacles il pourra croire avoir à vaincre pour parvenir à celle qu’il veut occuper.

Pour le guider dans cette recherche, après lui avoir montré les hommes par les accidens communs à l’espece, il faut maintenant les lui montrer par leurs différences. Ici vient la mesure de l’inégalité naturelle & civile, & le tableau de tout l’ordre social.

Il faut étudier la société par les hommes, & les hommes par la société : ceux qui voudront traiter séparément la politique & la morale, n’entendront jamais rien à aucune des deux. En s’attachant d’abord aux relations primitives, on voit comment les hommes en doivent être affectés, & quelles passions en doivent naître. On voit que c’est réciproquement par le progrès des passions que ces relations se multiplient & se resserrent. C’est moins la force des bras que la modération des cœurs, qui rend les hommes indépendans & libres. Quiconque desire peu de chose tient à peu de gens ; mais confondant toujours nos vains desirs avec nos besoins physiques, ceux qui ont fait de ces derniers les fondemens de la société humaine, ont toujours pris les effets pour les causes, & n’ont fait que s’égarer dans tous leurs raisonnemens.

Il y a dans l’état de Nature une égalité de fait réelle & indestructible, parce qu’il est impossible dans cet état que la seule différence d’homme à homme soit assez grande, pour rendre l’un dépendant de l’autre. Il y a dans l’état civil une égalité de droit chimérique & vaine, parce que les moyens destinés à la maintenir servent eux-mêmes à la