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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/429

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décisif & prompt à juger ; il se fera plaisir de chercher à tout de sinistres interprétations, & à ne voir en bien, rien même de ce qui est bien. Il s’accoutumera du moins au spectacle du vice, & à voir les méchans sans horreur, comme on s’accoutume à voir les malheureux sans pitié. Bientôt la perversité générale lui servira moins de leçon que d’exemple ; il se dira, que si l’homme est ainsi, il ne doit pas vouloir être autrement.

Que si vous voulez l’instruire par principes, & lui faire connoître avec la nature du cœur humain l’application des causes externes qui tournent nos penchans en vices, en transportant ainsi tout d’un coup des objets sensibles aux objets intellectuels, vous employez une métaphysique qu’il n’est point en état de comprendre ; vous retombez dans l’inconvénient, évité si soigneusement jusqu’ici, de lui donner des leçons qui ressemblent à des leçons, de substituer dans son esprit l’expérience & l’autorité du maître à sa propre expérience, & au progrès de sa raison.

Pour lever à la fois ces deux obstacles, & pour mettre le cœur humain à sa portée sans risquer de gâter le sien, je voudrois lui montrer les hommes au loin, les lui montrer dans d’autres tems ou dans d’autres lieux, & de sorte qu’il pût voir la scene sans jamais y pouvoir agir. Voilà le moment de l’Histoire ; c’est par elle qu’il lira dans les cœurs sans les leçons de la philosophie ; c’est par elle qu’il les verra, simple spectateur, sans intérêt & sans passion, comme leur juge, non comme leur complice ni comme leur accusateur.