Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/430

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pour connoître les hommes il faut les voir agir. Dans le monde on les entend parler ; ils montrent leurs discours & cachent leurs actions : mais dans l’histoire elles sont dévoilées, & on les juge sur les faits. Leurs propos même-aident à les apprécier ; car, comparant ce qu’ils font à ce qu’ils disent, on voit à la fois ce qu’ils sont & ce qu’ils veulent paraître plus ils se déguisent, mieux on les connaît.

Malheureusement cette étude a ses dangers, ses inconvénients de plus d’une espèce. Il est difficile de se mettre dans un point de vue d’où l’on puisse juger ses semblables avec équité. Un des grand s vices de histoire est qu’elle peint beaucoup plus les hommes par leurs mauvais côtés que par les bons ; comme elle n’est intéressante que par les révolutions, les catastrophes, tant qu’un peuple croît et prospère dans le calme d’un paisible gouvernernent, elle n’en dit rien ; elle ne commence à en parler que quand, ne pouvant plus se suffire à lui-même, il prend part aux affaires de ses voisins, ou les laisse prendre part aux siennes ; elle ne l’illustre que quand il est déjà sur son déclin : toutes nos histoires commencent où elles devroient finir. Nous avons fort exactement celle des peuples qui se détruisent ; ce qui nous manque est celle des peuples qui se multiplient ; ils sont assez heureux & assez sages pour qu’elle n’ait rien à dire d’eux : & en effet nous voyons, même de nos jours, que les gouvernements qui se conduisent le mieux sont ceux dont on parle le moins. Nous ne savons donc que le mal ; à peine le bien fait-il époque. Il n’y a que les méchants de célèbres, les bons sont oubliés ou tournés en ridicule : & voilà comment l’histoire,