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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/439

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ou, plutôt, placé derriere le théâtre, voyant les acteurs prendre & poser leurs habits, & comptant les cordes & les poulies dont le grossier prestige abuse les yeux des spectateurs. Bientôt à sa premiere surprise succéderont des mouvemens de honte & de dédain pour son espece ; il s’indignera de voir ainsi tout le genre humain dupe de lui-même, s’avilir à ces jeux d’enfans ; il s’afflige de voir ses freres s’entre-déchirer pour des rêves, & se changer en bêtes féroces pour n’avoir pas sçu se contenter d’être hommes.

Certainement avec les dispositions naturelles de l’Éleve, pour peu que le maître apporte de prudence & de choix dans ses lectures, pour peu qu’il le mette sur la voie des réflexions qu’il en doit tirer, cet exercice sera pour lui un cours de philosophie-pratique, meilleur surement & mieux entendu, que toutes les vaines spéculations dont on brouille l’esprit des jeunes gens dans nos écoles. Qu’après avoir suivi les romanesques projets de Pyrrhus, Cynéas lui demande quel bien réel lui procurera la conquête du monde, dont il ne puisse jouir dès-à-présent sans tant de tourmens ; nous ne voyons là qu’un bon mot qui passe ; mais Émile y verra une réflexion très-sage qu’il eût faite le premier, & qui ne s’effacera jamais de son esprit, parce qu’elle n’y trouve aucun préjugé contraire qui puisse en empêcher l’impression. Quand ensuite en lisant la vie de cet insensé, il trouvera que tous ses grands desseins ont abouti à s’aller faire tuer par la main d’une femme ; au lieu d’admirer cet héroïsme prétendu, que verra-t-il dans tous les exploits d’un si grand capitaine, dans toutes les intrigues d’un si grand politique,