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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/447

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ménagemens que j’aurois pour lui, seroient de partager tous les dangers que je lui laisserois courir, & tous les affronts que je lui laisserois recevoir. J’endurerois tout en silence, sans plainte, sans reproche, sans jamais lui en dire un seul mot ; et soyez sûr qu’avec cette discrétion bien soutenue, tout ce qu’il m’aura vu souffrir pour lui fera plus d’impression sur son cœur, que ce qu’il aura souffert lui-même.

Je ne puis m’empêcher de relever ici la fausse dignité des gouverneurs qui, pour jouer sottement les sages, rabaissent leurs Éleves, affectent de les traiter toujours en enfans, & de se distinguer toujours d’eux dans tout ce qu’ils leur font faire. Loin de ravaler ainsi leurs jeunes courages, n’épargnez rien pour leur élever l’ame ; faites-en vos égaux afin qu’ils le deviennent, & s’ils ne peuvent encore s’élever à vous, descendez à eux sans honte, sans scrupule. Songez que votre honneur n’est plus dans vous, mais dans votre Élève ; partagez se fautes pour l’en corriger ; chargez-vous de sa honte pour l’effacer : imitez ce brave Romain qui, voyant fuir son armée & ne pouvant la rallier, se mit à fuir à la tête de ses soldats, en criant : ils ne fuient pas, ils suivent leur capitaine. Fut-il déshonoré pour cela ? tant s’en faut : en sacrifiant ainsi sa gloire il l’augmenta. La force du devoir, la beauté de la

    au College, vous voyez comment on leur fera laisser à vingt leur bourse dans un brelan & leur santé dans un mauvais lieu. Il y a toujours à parier que le plus savant de sa classe deviendra le plus joueur & le plus débauché. Or les moyens dont on n’usa point dans l’enfance n’ont point dans la jeunesse le même abus. Mais on doit se souvenir qu’ici ma constante maxime est de mettre par-tout la chose au pis. Je cherche d’abord à prévenir le vice, & puis je le suppose, afin d’y remédier.