Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/453

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l’instruction morale ; mais le véritable objet de la mère & de l’enfant n’est que d’occuper de lui toute une compagnie, tandis qu’il récite ses fables ; aussi les oublie-t-il toutes en grandissant, lorsqu’il n’est plus question de les réciter, mais d’en profiter. Encore une fois, il n’appartient qu’aux hommes de s’instruire dans les fables ; & voici pour Émile le tems de commencer.

Je montre de loin, car je ne veux pas non plus tout dire, les routes qui détournent de la bonne, afin qu’on apprenne à les éviter. je crois qu’en suivant celle que j’ai marquée, votre élève achètera la connoissance des hommes & de soi-même au meilleur marché qu’il est possible ; que vous le mettrez au point de contempler les jeux de la fortune sans envier le sort de ses favoris, & d’être content de lui sans se croire plus sage que les autres. Vous avez aussi commencé à le rendre acteur pour le rendre spectateur : il faut achever ; car du parterre on voit les objets tels qu’ils paraissent, mais de la scène on les voit tels qu’ils sont. Pour embrasser le tout, il faut se mettre dans le point de vue ; il faut approcher pour voir les détails. Mais à quel titre un jeune homme entrera-t-il dans les affaires du monde ? Quel droit a-t-il d’être initié dans ces mystères ténébreux ? Des intrigues de plaisir bornent les intérêts de son âge ; il ne dispose encore que de lui-même ; c’est comme s’il ne disposoit de rien. L’homme est la plus vile des marchandises, &, parmi nos importants droits de propriété, celui de la personne est toujours le moindre de tous.

Quand je vois que, dans l’âge de la plus grande activité, l’on borne les jeunes gens à des études purement