Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/460

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collèges, il acquerra de plus une science plus importante encore, qui est, l’application de cet acquis aux usages de la vie. Il n’est as possible que, prenant tant d’intérêt à ses semblables, i n’apprenne de bonne heure à peser & apprécier leurs actions, leurs goûts, leurs plaisirs, & à donner en général une plus juste valeur à ce qui peut contribuer ou nuire au bonheur des hommes, que ceux qui, ne s’intéressant à personne, ne font jamais rien pour autrui. Ceux qui ne traitent jamais que leurs propres affaires se passionnent trop pour juger sainement des choses. Rapportant tout à eux seuls, et réglant sur leur seul intérêt les idées du bien & du mal, ils se remplissent l’esprit de mille préjugés ridicules, & dans tout ce qui porte atteinte à leur moindre avantage, ils voient aussitôt le bouleversement de tout l’univers.

étendons l’amour-propre sur les autres êtres, nous le transformerons en vertu, & il n’y a point de cœur d’homme dans lequel cette vertu n’ait sa racine. Moins l’objet de nos soins tient immédiatement à nous-mêmes, moins l’illusion de l’intérêt particulier est à craindre ; plus on généralise cet intérêt, plus il devient équitable ; et l’amour du genre humain n’est autre chose en nous que l’amour de la justice. Voulons-nous donc qu’Émile aime la vérité, voulons-nous qu’il la connaisse ; dans les affaires tenons-le toujours loin de lui. Plus ses soins seront consacrés au bonheur d’autrui, plus ils seront éclairés & sages, & moins il se trompera sur ce qui est bien ou mal ; mais ne souffrons jamais en lui de préférence aveugle, fondée uniquement sur des acceptions de personnes ou sur d’injustes préventions. Et pourquoi