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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/461

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il à l’un pour servir l’autre ? Peu lui importe à qui tombe un plus grand bonheur en partage, pourvu qu’il concoure au plus grand bonheur de tous : c’est là le premier intérêt du sage, après l’intérêt privé ; car chacun est partie de son espece, & non d’un autre individu.

Pour empêcher la pitié de dégénérer en faiblesse, il faut donc la généraliser, & l’étendre sur tout le genre humain. Alors on ne s’y livre qu’autant qu’elle est d’accord avec la justice, parce que de toutes les vertus, la justice est celle qui concourt le plus au bien commun des hommes. Il faut par raison, par amour pour nous, avoir pitié de notre espece encore plus que de notre prochain, & c’est une très-grande cruauté envers les hommes que la pitié pour les méchans.

Au reste, il faut se souvenir que tous ces moyens, par lesquels je jette ainsi mon Éleve hors de lui-même, ont cependant toujours un rapport direct à lui ; puisque non-seulement il en résulte une jouissance intérieure, mais qu’en le rendant bienfaisant au profit des autres, je travaille à sa propre instruction.

J’ai d’abord donné les moyens, & maintenant j’en montre l’effet. Quelles grandes vues je vois s’arranger peu-à-peu dans sa tête ! Quels sentimens sublimes étouffent dans son cœur le germe des petites passions ! Quelle netteté de judiciaire ! Quelle justesse de raison je vois se former en lui de ses penchans cultivés, de l’expérience qui concentre les vœux d’une ame grande dans l’étroite orne des possibles & fait qu’un homme supérieur aux autres, ne pouvant les élever à