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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/82

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n’y prend garde, elles deviennent bientôt des ordres ; ils commencent par se faire assister, ils finissent par se faire servir. Ainsi de leur propre foiblesse, d’où vient d’abord le sentiment de leur dépendance, nait ensuite l’idée de l’empire & de la domination ; mais cette idée étant moins excitée par leurs besoins que par nos services, ici commencent à se faire appercevoir les effets moraux dont la cause immédiate n’est pas dans la nature, & l’on voit déjà pourquoi dès ce premier âge, il importe de démêler l’intention secrete qui dicte le geste ou le cri.

Quand l’enfant tend la main avec effort sans rien dire, il croit atteindre à l’objet, parce qu’il n’en estime pas la distance ; il est dans l’erreur : mais quand il se plaint & crie en tendant la main, alors il ne s’abuse plus sur la distance, il commande à l’objet de s’approcher, ou à vous de le lui apporter. Dans le premier cas portez-le à l’objet lentement & à petits pas : dans le second, ne faites pas seulement semblant de l’entendre ; plus il criera, moins vous devez l’écouter. Il importe de l’accoutumer de bonne heure à ne commander, ni aux hommes, car il n’est pas leur maître, ni aux choses, car elles ne l’entendent point. Ainsi quand un enfant desire quelque chose qu’il voit & qu’on veut lui donner, il vaut mieux porter l’enfant à l’objet que d’apporter l’objet à l’enfant : il tire de cette pratique une conclusion qui est de son âge, & il n’y a point d’autre moyen de la lui suggérer.

L’Abbé de Saint-Pierre appeloit les hommes de grands enfans ; on pourroit appeller réciproquement les enfans de