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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/93

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Ce qui la produit est que jusqu’à cinq ou six ans les enfans des villes élevés dans la chambre & sous l’aîle d’une Gouvernante, n’ont besoin que de marmotter pour se faire entendre ; sitôt qu’ils remuent les levres on prend peine à les écouter ; on leur dicte des mots qu’ils rendent mal, & à force d’y faire attention, les mêmes gens étant sans cesse autour d’eux, devinent ce qu’ils ont voulu dire plutôt que ce qu’ils ont dit.

À la campagne, c’est tout autre chose. Une paysanne n’est pas sans cesse autour de son enfant ; il est forcé d’apprendre à dire très-nettement & très-haut ce qu’il a besoin de lui faire entendre. Aux champs les enfans épars, éloignés du pere, de la mere & des autres enfans, s’exercent à se faire entendre à distance, & à mesurer la force de la voix sur l’intervalle qui les sépare de ceux dont ils veulent être entendus. Voilà comment on apprend véritablement à prononcer, & non pas en bégayant quelques voyelles à l’oreille d’une Gouvernante attentive. Aussi quand on interroge l’enfant d’un paysan, la honte peut l’empêcher de répondre, mais ce qu’il dit il le dit nettement ; au lieu qu’il faut que la Bonne serve d’interprete à l’enfant de la ville, sans quoi l’on n’entend rien à ce qu’il grommelle entre ses dents [1].

  1. (17) Ceci n’est pas sans exception ; souvent les enfans qui se font d’abord le moins entendre deviennent ensuite les plus étourdissans quand ils ont commencé d’élever la voix. Mais s’il faloit entrer dans toutes ces minuties je ne finirois pas ; tout Lecteur sensé doit voir que l’excès & le défaut dérivés du même abus sont également corrigés par ma méthode. Je regarde ces deux maximes comme inséparables ; toujours assez ; & jamais trop. De la premiere bien établie, l’autre s’ensuit nécessairement.