Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/92

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se plaisent avec personne autant qu’avec vous, & soyez surs qu’insensiblement leur langage s’épurera sur le vôtre sans que vous les ayez jamais repris.

Mais un abus de tout autre importance, & qu’il n’est pas moins aisé de prévenir, est qu’on se presse trop de les faire parler, comme si l’on avoit peur qu’ils n’apprissent pas à parler d’eux-mêmes. Cet empressement indiscret produit un effet directement contraire à celui qu’on cherche. Ils en parlent plus tard, plus confusément : l’extrême attention qu’on donne à tout ce qu’ils disent les dispense de bien articuler ; & comme ils daignent à peine ouvrir la bouche, plusieurs d’entre eux en conservent toute leur vie un vice de prononciation & un parler confus qui les rend presque inintelligibles.

J’ai beaucoup vécu parmi les paysans, & n’en ai oui jamais grasseyer aucun, ni homme, ni femme, ni fille, ni garçon. D’où vient cela ? Les organes des paysans sont-ils autrement construits que les nôtres ? Non, mais ils sont autrement exercés. Vis-à-vis de ma fenêtre est un tertre sur lequel se rassemblent, pour jouer, les enfans du lieu. Quoiqu’ils soient assez éloignés de moi, je distingue parfaitement ce qu’ils disent, & j’en tire souvent de bons mémoires tout pour cet écrit. Tous les jours mon oreille me trompe sur leur âge ; j’entends des voix d’enfants de dix ans ; je regarde, je vois la stature & les traits d’enfants de trois à quatre. Je ne borne pas à moi seul cette expérience ; les urbains qui nie viennent voir, & que je consulte là-dessus, tombent tous dans la même erreur.