ÉMILE,
OU
DE L’ÉDUCATION.
» Il y a trente ans que dans une ville d’Italie, un jeune
homme expatrié se voyoit réduit à la derniere misere. Il
étoit né Calviniste ; mais par les suites d’une étourderie,
se trouvant fugitif, en pays étranger, sans ressource, il
changea de religion pour avoir du pain. Il y avoit dans
cette ville un hospice pour les Prosélytes, il y fut admis.
En l’instruisant sur la controverse, on lui donna des doutes
qu’il n’avoit pas, & on lui apprit le mal qu’il ignoroit :
il entendit des dogmes nouveaux, il vit des mœurs encore
plus nouvelles ; il les vit, & faillit en être la victime. Il
voulut fuir, on l’enferma ; il se plaignit, on le punit de
ses plaintes ; à la merci de ses tyrans, il se vit traiter en
criminel pour n’avoir pas voulu céder au crime. Que ceux
qui savent combien la premiere épreuve de la violence &
de l’injustice irrite un jeune cœur sans expérience, se figurent
l’état du sien. Des larmes de rage couloient de ses
yeux, l’indignation l’étouffoit. Il imploroit le Ciel & les
hommes, il se confioit à tout le monde, & n’étoit écouté