Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/12

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de personne. Il ne voyoit que de vils domestiques soumis à l’infâme qui l’outrageait, ou des complices du même crime qui se railloient de sa résistance & l’excitoient à les imiter. Il étoit perdu sans un honnête ecclésiastique qui vint à l’hospice pour quelque affaire, & qu’il trouva le moyen de consulter en secret. L’ecclésiastique étoit pauvre & avoit besoin de tout le monde : mais l’opprimé avoit encore plus besoin de lui ; & il n’hésita pas à favoriser son évasion, au risque de se faire un dangereux ennemi."

" Echappé au vice pour rentrer dans l’indigence, le jeune homme luttoit sans succès contre sa destinée : un moment il se crut au-dessus d’elle. À la première lueur de fortune ses maux & son protecteur furent oubliés. Il fut bientôt puni de cette ingratitude : toutes ses espérances s’évanouirent ; sa jeunesse avoit beau le favoriser, ses idées romanesques gâtoient tout. N’ayant ni assez de talents, ni assez d’adresse pour se faire un chemin facile, ne sachant être ni modéré ni méchant, il prétendit à tant de choses qu’il ne sut parvenir à rien. Retombé dans sa première détresse, sans pain, sans asile, prêt à mourir de faim, il se ressouvint de son bienfaiteur."

" Il y retourne, il le trouve, il en est bien reçu : sa vue rappelle à l’ecclésiastique une bonne action qu’il avoit faite ; un tel souvenir réjouit toujours l’âme. Cet homme étoit naturellement humain, compatissant ; il sentoit les peines d’autrui par les siennes, & le bien-être n’avoit point endurci son cœur ; les leçons de la sagesse et une