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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/130

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mier moment sur le reste de sa vie. Si je dissimule & feins de ne rien voir, il se prévaut de ma foiblesse ; croyant me tromper, il me méprise, & je suis le complice de sa perte. Si j’essaye de le ramener, il n’est plus tems, il ne m’écoute plus ; je lui deviens incommode, odieux, insupportable ; il ne tardera gueres à se débarrasser de moi. Je n’ai donc plus qu’un parti raisonnable à prendre ; c’est de le rendre comptable de ses actions à lui-même ; de le garantir au moins des surprises de l’erreur, & de lui montrer à découvert les périls dont il est environné. Jusqu’ici je l’arrêtois par son ignorance ; c’est maintenant par ses lumieres qu’il faut l’arrêter.

Ces nouvelles instructions sont importantes, & il convient de reprendre les choses de plus haut. Voici l’instant de lui rendre, pour ainsi dire, mes comptes ; de lui montrer l’emploi de son tems & du mien ; de lui déclarer ce qu’il est & ce que je suis, ce que j’ai fait, ce qu’il a fait, ce que nous devons l’un à l’autre, toutes ses relations morales, tous les engagemens qu’il a contractés, tous ceux qu’on a contractés avec lui, à quel point il est parvenu dans le progrès de ses facultés, quel chemin lui reste à faire, les difficultés qu’il y trouvera, les moyens de franchir ces difficultés, en quoi je lui puis aider encore, en quoi lui seul peut désormois s’aider, enfin le point critique où il se trouve, les nouveaux périls qui l’environnent, & toutes les solides raisons qui doivent l’engager à veiller attentivement sur lui-même avant d’écouter ses desirs naissans.

Songez que pour conduire un adulte, il faut prendre le contre-pied de tout ce que vous avez fait pour conduire un