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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/140

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sujet, ainsi que font beaucoup d’autres, & mes écarts sont trop fréquens pour pouvoir être longs & tolérables : je reviens donc.

Ne raisonnez jamais séchement avec la Jeunesse. Revêtez la raison d’un corps, si vous voulez la lui rendre sensible. Faites passer par le cœur le langage de l’esprit, afin qu’il se fasse entendre. Je le répete, les argumens froids peuvent déterminer nos opinions, non nos actions ; ils nous font croire & non pas agir ; on démontre ce qu’il faut penser, & non ce qu’il faut faire. Si cela est vrai pour tous les hommes, à plus forte raison l’est-il pour les jeunes gens, encore enveloppés dans leurs sens, & qui ne pensent qu’autant qu’ils imaginent.

Je me garderai donc bien, même après les préparations dont j’ai parlé, d’aller tout d’un coup dans la chambre d’Émile, lui faire lourdement un long discours sur le sujet dont je veux l’instruire. Je commencerai par émouvoir son imagination ; je choisirai le tems, le lieu, les objets les plus favorables à l’impression que je veux faire : j’appellerai, pour ainsi dire, toute la Nature à témoin de nos entretiens ; j’attesterai l’Être éternel, dont elle est l’ouvrage, de la vérité de mes discours ; je la prendrai pour juge entre Émile & moi ; je marquerai la place où nous sommes, les rochers, les bois, les montagnes qui nous entourent, pour monumens de ses engagemens & des miens ; je mettrai dans mes yeux, dans mon accent, dans mon geste, l’enthousiasme & l’ardeur que je lui veux inspirer. Alors je lui parlerai & il m’écoutera, je m’attendrirai & il sera ému. En me pénétrant de la sainteté de mes devoirs,