Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/139

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Darius, engagé dans la Scythie avec son armée, reçoit de la part du roi des Scythes un oiseau, une grenouille, une souris et cinq flèches. L’ambassadeur remet son présent, & s’en retourne sans rien dire. De nos jours cet homme eût passé pour fou. Cette terrible harangue fut entendue, et Darius n’eut plus grande hâte que de regagner son pays comme il put. Substituez une lettre à ces signes ; plus elle sera menaçante, & moins elle effrayera ; ce ne sera qu une fanfaronnade dont Darius n’eût fait que rire.

Que d’attention chez les Romains à la langue des signes ! Des vêtements divers selon les âges, selon les conditions ; des toges, des saies, des prétextes, des bulles, des laticlaves, des chaires, des licteurs, des faisceaux, des haches, des couronnes d’or, d’herbes, de feuilles, des ovations, des triomphes : tout chez eux était appareil, représentation, cérémonie & tout faisoit impression sur les cœurs des citoyens. Il importoit à l’état que le peuple s’assemblât en tel lieu plutôt qu’en tel autre ; qu’il vît ou ne vît pas le Capitole ; qu’il fut ou ne fût pas tourné du côté du sénat ; qu’il délibérât tel ou tel jour par préférence. Les accusés changeaient d’habit, les candidats en changeaient ; les guerriers ne vantoient pas leurs exploits, ils montroient leurs blessures. À la mort de César, j’imagine un de nos orateurs, voulant émouvoir le peuple, épuiser tous les lieux communs de l’art pour faire une pathétique description de ses plaies, de son sang, de son cadavre : Antoine, quoique éloquent, ne dit point tout cela ; il fait apporter le corps. Quelle rhétorique !

Mais cette digression m’entraîne insensiblement loin de mon