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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/148

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aux dépens du présent, un bonheur éloigné. Je ne veux point qu’il soit heureux une fois, mais toujours, s’il est possible.

Ceux qui veulent conduire sagement la Jeunesse pour la garantir des piéges des sens, lui font horreur de l’amour, & lui feroient volontiers un crime d’y songer à son âge, comme si l’amour étoit fait pour les vieillards. Toutes ces leçons trompeuses que le cœur dément ne persuadent point. Le jeune homme conduit par un instinct plus sûr, rit en secret des tristes maximes auxquelles il feint d’acquiescer, & n’attend que le moment de les rendre vaines. Tout cela est contre la Nature. En suivant une route opposée, j’arriverai plus surement au même but. Je ne craindrai point de flatter en lui le doux sentiment dont il est avide ; je le lui peindrai comme le suprême bonheur de la vie, parce qu’il l’est en effet ; en le lui peignant, je veux qu’il s’y livre. En lui faisant sentir quel charme ajoute à l’attrait des sens l’union des cœurs, je le dégoûterai du libertinage, & je le rendrai sage en le rendant amoureux.

Qu’il faut être borné pour ne voir dans les desirs naissans d’un jeune homme qu’un obstacle aux leçons de la raison ! Moi, j’y vois le vrai moyen de le rendre docile à ces mêmes leçons. On n’a de prise sur les passions, que par les passions ; c’est par leur empire qu’il faut combattre leur tyrannie, & c’est toujours de la Nature elle-même qu’il faut tirer les instruments propres à la régler.

Émile n’est pas fait pour rester toujours solitaire ; membre de la société, il en doit remplir les devoirs. Fait pour