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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/157

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retenue, à devenir insolent à leur imitation. Mais quel homme au monde est moins imitateur qu’Émile ? Quel homme se mene moins par le ton plaisant, que celui qui n’a point de préjugés & ne sait rien donner à ceux des autres ? J’ai travaillé vingt ans à l’armer contre les moqueurs, il leur faudra plus d’un jour pour en faire leur dupe ; car le ridicule n’est à ses yeux que la raison des sots, & rien ne rend plus insensible à la raillerie, que d’être au-dessus de l’opinion. Au lieu de plaisanteries, il lui faut des raisons, &, tant qu’il en sera là, je n’ai pas peur que de jeunes foux me l’enlevent ; j’ai pour moi la conscience & la vérité. S’il faut que le préjugé s’y mêle, un attachement de vingt ans est aussi quelque chose : on ne lui fera jamais croire que je l’aye ennuyé de vaines leçons ; & dans un cœur droit & sensible, la voix d’un ami fidele & vrai saura bien effacer les cris de vingt séducteurs. Comme il n’est alors question que de lui montrer qu’ils le trompent & qu’en feignant de le traiter en homme, ils le traitent réellement en enfant ; j’affecterai d’être toujours simple, mais grave & clair dans mes raisonnemens, afin qu’il sente que c’est moi qui le traite en homme. Je lui dirai : “ vous voyez que votre seul intérêt, qui est le mien, dicté mes discours, je n’en peux avoir aucun autre ; mais pourquoi ces jeunes gens veulent-ils vous persuader ? C’est qu’ils veulent vous séduire ; ils ne vous aiment point, ils ne prennent aucun intérêt à vous ; ils ont pour tout motif, un dépit secret de voir que vous valez mieux qu’eux ; ils veulent vous rabaisser à leur petite mesure, & ne vous reproche de vous laisser gouverner, qu’afin de vous gou-