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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/158

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verner eux-mêmes. Pouvez-vous croire qu’il y eût à gagner pour vous dans ce changement ? Leur sagesse est-elle donc si supérieure, & leur attachement d’un jour est-il plus fort que le mien ? Pour donner quelque poids à leur raillerie, il faudroit en pouvoir donner à leur autorité, & quelle expérience ont-ils pour élever leurs maximes au-dessus des nôtres ? Ils dont fait qu’imiter d’autres étourdis, comme ils veulent être imités à leur tour. Pour se mettre au-dessus des prétendus préjugés de leurs peres, ils s’asservissent à ceux de leurs camarades ; je ne vois point ce qu’ils gagnent à cela, mais je vois qu’ils y perdent surement deux grands avantages ; celui de l’affection paternelle, dont les conseils sont tendres & sinceres, & celui de l’expérience qui fait juger de ce qu’on connoit ; car les peres ont été enfans, & les enfans n’ont pas été peres.

” Mais les croyez-vous sincères au moins dans leurs folles maximes ? Pas même cela, cher Émile ; ils se trompent pour vous tromper, ils ne sont point d’accord avec eux-mêmes. Leur cœur les dément sans cesse, & souvent leur bouche les contredit. Tel d’entre eux tourne en dérision tout ce qui est honnête, qui seroit au désespoir que sa femme pensât comme lui. Tel autre poussera cette indifférence de mœurs jusqu’à celles de la femme qu’il n’a point encore, ou pour comble d’infamie, à celles de la femme qu’il a déjà ; mais allez plus loin, parlez-lui de sa mere, & voyez s’il passera volontiers pour être un enfant d’adultere & le fils d’une femme de mauvaise vie, pour prendre à faux le nom d’une famille, pour en voler le patrimoine