Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/16

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" Après avoir bien étudié ses sentiments & son caractère, le prêtre vit clairement que, sans être ignorant pour son âge, il avoit oublié tout ce qu’il lui importoit de savoir, & que l’opprobre où l’avoit réduit la fortune étouffoit en lui tout vrai sentiment du bien & du mal. Il est un degré d’abrutissement qui ôte la vie à l’âme ; et la voix intérieure ne sait point se faire entendre à celui qui ne songe qu’à se nourrir. Pour garantir le jeune infortuné de cette mort morale dont il étoit si près, il commença par réveiller en lui l’amour-propre & l’estime de soi-même : il lui montroit un avenir plus heureux dans le bon emploi de ses talents ; il ranimait dans son cœur une ardeur généreuse par le récit des belles actions d’autrui ; en lui faisant admirer ceux qui les avoient faites, il lui rendoit le désir d’en faire de semblables. Pour le détacher insensiblement de sa vie oisive & vagabonde, il lui faisoit faire des extraits de livres choisis ; &, feignant d’avoir besoin de ces extraits, il nourrissoit en lui le noble sentiment de la reconnaissance. Il l’instruisait indirectement par ces livres ; il lui faisoit reprendre assez bonne opinion de lui-même pour ne pas se croire un être inutile à tout bien, & pour ne vouloir plus se rendre méprisable à ses propres yeux."

" Une bagatelle fera juger de l’art qu’employoit cet homme bienfaisant pour élever insensiblement le cœur de son disciple au-dessus de la bassesse, sans paraître songer à son instruction. L’ecclésiastique avoit une probité si bien reconnue & un discernement si sûr, que plusieurs personnes aimoient mieux faire passer leurs aumônes par ses