Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dédaigneuses : l’air insolent n’appartient qu’aux esclaves, l’indépendance n’a rien d’affecté. Je n’ai jamais vu d’homme ayant de la fierté dans l’ame en montrer dans son maintien : cette affectation est bien plus propre aux ames viles & vaines, qui ne peuvent en imposer que par-là. Je lis dans un livre, qu’un étranger se présentant un jour dans la salle du fameux Marcel, celui-ci lui demanda de quel pays il étoit : Je suis Anglois, répond l’étranger. Vous Anglois ? réplique le danseur ; vous seriez de cette Isle où les citoyens ont part à l’administration publique, & sont une portion de la puissance souveraine [1] ! Non, monsieur ; ce front baissé, ce regard timide, cette démarche incertaine, ne m’annoncent que l’esclave titré d’un Électeur.

Je ne sais, si ce jugement montre une grande connoissance du vrai rapport qui est entre le caractere d’un homme & son extérieur. Pour moi qui n’ai pas l’honneur d’être maître à danser, j’aurois pensé tout le contraire. J’aurois dit : cet Anglois n’est pas courtisan ; je n’ai jamais ouï dire que les courtisans eussent le front baissé, & la démarche incertaine : un homme timide chez un danseur, pourroit bien ne l’être pas dans la Chambre des Communes. Assurément

  1. (45) Comme s’il y avoit des Citoyens qui ne fussent pas membres de la Cité, & qui n’eussent pas, comme tels, part à l’autorité souveraine ! Mais les François ayant jugé à propos d’usurper ce respectable nom de Citoyens, dû jadis aux membres des Cités Gauloises, en ont dénaturé l’idée, au point qu’on n’y conçoit plus rien. Un homme qui vient de m’écrire beaucoup de bêtises contre la nouvelle Héloïse, a orné sa signature du titre de Citoyen de Paimbœuf, & a cru me faire une plaisanterie.