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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/181

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miers, les anciens sont les plus près de la Nature, & que leur génie est plus à eux. Quoi qu’en aient pu dire la Motte & l’abbé Terrasson, il n’y a point de vrai progrès de raison dans l’espece humaine, parce que tout ce qu’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre ; que tous les esprits partent toujours du même point, & que le tems qu’on emploie à savoir ce que d’autres ont pensé étant perdu pour apprendre à penser soi-même, on a plus de lumieres acquises & moins de vigueur d’esprit. Nos esprits sont comme nos bras exercés à tout faire avec des outils, & rien par eux-mêmes. Fontenelle disoit que toute cette dispute sur les anciens & les modernes se réduisoit à savoir, si les arbres d’autrefois étoient plus grands que ceux d’aujourd’hui. Si l’agriculture avoit changé, cette question ne seroit pas impertinente à faire.

Après l’avoir ainsi fait remonter aux sources de la pure littérature, je lui en montre aussi les égoûts dans les réservoirs des modernes compilateurs ; journaux, traductions, dictionnaires ; il jette un coup-d’œil sur tout cela, puis le laisse pour n’y jamais revenir. Je lui fais entendre, pour le réjouir, le bavardage des académies ; je lui fais remarquer que chacun de ceux qui les composent vaut toujours mieux seul qu’avec le corps ; là-dessus il tirera de lui-même la conséquence de l’utilité de tous ces beaux établissemens.

Je le mene aux spectacles pour étudier, non les mœurs, mais le goût ; car c’est là sur-tout qu’il se montre à ceux qui savent réfléchir. Laissez les préceptes & la morale, lui dirois-je ; ce n’est pas ici qu’il faut les apprendre. Le théâtre