Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/184

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spectateur dédaigneux des misères de la canaille, car je ne donnerois plus d’autre nom aux indigents pour faire oublier qu’autrefois je fus de leur classe. Enfin je ferois de ma fortune l’instrument de mes plaisirs, dont je serois uniquement occupé ; & jusque-là je serois comme tous les autres.

Mais en quoi je crois que j’en différerois beaucoup, c’est que je serois sensuel et voluptueux plut^t qu’orgueilleux & vain, & que je me livrerois au luxe de mollesse bien plus qu’au luxe d’ostentation. J’aurois même quelque honte l’étaler trop ma richesse, & je croirois toujours voir l’envieux que j’écraserois de mon faste dire à ses voisins a l’oreille : Voilà un fripon qui a grand’peur de n’être pas connu pour tel.

De cette immense profusion de biens qui couvrent la terre, je chercherois ce qui m’est le plus & que je puis le mieux m’approprier. Pour cela, le premier usage de ma richesse seroit d’en acheter du loisir & la liberté, quoi j’ajouterois la santé, si elle étoit à prix ; mais comme elle ne s’achète qu’avec la tempérance, & qu’il n’y a point sans la santé de vrai plaisir dans la vie, je serois tempérant par sensualité.

Je resterois toujours aussi près de la nature qu’il seroit possible pour flatter les sens que j’ai reçus d’elle, bien sûr que plus elle mettroit du sien dans mes jouissances, plus trouverois de réalité. Dans le choix des objets d’imitation je la prendrais toujours pour modèle ; dans mes appétits je lui donnerois la préférence ; dans mes goûts je la consulterois toujours ; dans les mets je voudrois toujours ceux